Le Monde - A Cannes, les femmes montrent leurs bobines, les hommes leurs films

LE MONDE | 11.05.2012 à 16h08 • Mis à jour le 11.05.2012 à 21h48

"Qu’est-ce qui a changé dans le cinéma ? Tout !", s’exclamait Gilles Jacob, président du Festival de Cannes, lors de la présentation des films sélectionnés pour la 65e édition. Tout ?! Un instant, nous avons frémi. A tort, puisque les vingt-deux films de la sélection officielle ont été réalisés, heureux hasard, par vingt-deux hommes. Le Festival couronnera donc pour la 63e fois l’un d’entre eux, défendant ainsi sans faillir les valeurs viriles qui font la noblesse du septième art.

Une fois seulement, en 1993, la Palme était en effet attribuée à Jane Campion, une réalisatrice. Et en 2011, par manque de vigilance sans doute, quatre femmes s’étaient immiscées parmi les vingt nominés à la compétition officielle. Thierry Frémeaux, délégué général, ne manquait pas de le remarquer : "C’est la première fois qu’il y a autant de femmes." Coupable faiblesse ! D’autant plus impardonnable que les Césars avaient en 2011 montré un digne exemple en ne sélectionnant aucune femme dans les catégories "meilleur film" ou "meilleure réalisation".

Messieurs, vous avez retrouvé vos esprits et nous nous en réjouissons. Le Festival de Cannes 2012 permet à Wes, Jacques, Leos, David, Lee, Andrew, Matteo, Michael, John, Hong, Im, Abbas, Ken, Sergei, Cristian, Yousry, Jeff, Alain, Carlos, Walter, Ulrich, Thomas de montrer une fois de plus que "les hommes aiment la profondeur chez les femmes, mais seulement dans leur décolleté".

Cette sélection exemplaire est un signe fort envoyé à la profession, et au public du monde entier. Car qui mieux que le plus prestigieux festival de cinéma au monde, pour être le porte-voix de cet immuable message. Avec une grande lucidité sur son rôle primordial, vous avez su empêcher toute velléité féminine de briguer une quelconque place dans ce milieu si bien gardé. Surtout, ne pas laisser penser aux jeunes filles qu’elles pourraient avoir un jour l’outrecuidance de réaliser des films et de gravir les marches du Palais autrement qu’au bras d’un prince charmant.

Ne suffit-il pas qu’elles puissent rêver d’être un jour "la" maîtresse de cérémonie de la soirée d’ouverture du Festival ! Bérénice Bejo en 2012, Mélanie Laurent en 2011, Kristin Scott Thomas en 2010. Les femmes sont de parfaites hôtesses, que l’on rendra heureuses d’un simple, "T’as de beaux yeux, tu sais", ou autres compliments bien tournés. Des icônes troublantes aussi que vous savez laisser à leur juste place : en vitrine et sur papier glacé. Les affiches du Festival en témoignent : cette année c’est Marilyn Monroe qu’on célèbre, en 2011 Juliette Binoche, en 2009 Monica Vitti, et en 1989 une Marianne de la République incarnait le prestigieux Festival.

En 1976 ce sont les fesses nues d’une femme qui étaient à l’honneur. De quoi se plaindraient nos muses ? Elles sont célébrées pour leurs qualités essentielles : beauté, grâce, légèreté... Evitons-leur les affres de la direction d’une équipe de tournage, épargnons-leur la pénible confrontation avec les contraintes techniques d’un plateau. Qu’iraient-elles s’ennuyer dans le comité d’organisation où se prennent les décisions importantes et qui, pour preuve, n’a connu depuis sa création que des présidents ? Gardons aux hommes la lourde charge de ces fonctions rébarbative. Aux femmes les bobines à coudre, aux hommes celles des frères Lumière !
Fanny Cottençon, comédienne
Virginie Despentes, écrivaine et réalisatrice
Coline Serreau, réalisatrice
L’initiative de ce texte revient au collectif d’action féministe La Barbe. Voir la liste des signataires sur le site www.labarbelabarbe.org

Fanny Cottençon, Virginie Despentes, Coline Serreau
Thierry Frémeaux réfute la discrimination positive

Le Festival de Cannes ne sélectionnera "jamais un film qui ne le mérite pas simplement parce qu’il est réalisé par une femme", a réagi vendredi 11 mai dans l’après-midi Thierry Frémeaux, à la tribune du collectif La Barbe parue dans Le Monde. "Cela mènerait à une politique de quotas", a déclaré le délégué général du festival, chargé du choix des films en sélection officielle (soixante cette année) dont ceux en lice pour la Palme d’or (vingt-deux).

Pour Thierry Frémeaux, le problème de la place des femmes dans le cinéma est bien réel - "nul doute qu’elle doit être augmentée", estime-t-il - mais Cannes n’est ni le lieu ni le moment de le poser selon lui : "Ce n’est pas à Cannes, ni au mois de mai, qu’il faut poser le problème, c’est toute l’année." Par conséquent, "accuser le Festival ne sert strictement à rien", conclut-il.

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