Dans la manifestation parisienne contre la réforme des retraites, mardi 12 octobre, le cortège féministe, constitué de militantes d’Osez le féminisme ! (OLF !), du Planning familial et de Femmes solidaires, s’était glissé en bonne place, entre la CGT et la CFDT, cependant que des équipes volantes distribuaient des tracts ici et là le long du défilé, sur lesquels on pouvait lire : "Des mesures pour quelques milliers de femmes, c’est l’arnaque ! Mamans ou sans enfants, pour nous c’est 60 ans."
"Lors de la première journée d’action, celle du 24 juin, la question des femmes était peu présente sur les banderoles et dans les discours, raconte Caroline de Haas, à la tête d’OLF !. Raison pour laquelle on a lancé à l’époque sur Internet un appel féministe contre la réforme des retraites." Depuis, celui-ci a été ratifié par une cinquantaine de représentantes politiques, syndicales et associatives.
Ce travail traditionnel d’interpellation des dirigeants et d’interventions au sein de sections politiques et syndicales est loin d’être le seul outil de mobilisation d’OLF !, qui privilégie habituellement la communication virale et ne dédaigne pas les coups d’éclat. "Je dis souvent que ce qui nous différencie des mouvements historiques, c’est Facebook !", observe Caroline de Haas. OLF ! est né en juin 2009 à la suite de l’annonce par le gouvernement de la suppression des crédits alloués au Planning familial.
Une pétition de protestation a rapidement recueilli 140 000 signatures. Un tel succès a convaincu Caroline de Haas, alors secrétaire générale de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), qu’il existait des forces vives à mobiliser. "Avec cette annonce, le gouvernement a fait une grosse boulette car il a réveillé quelque chose qui dormait chez les jeunes générations auxquelles on a offert un débouché militant. Depuis un an, et davantage depuis la réforme des retraites qui touche de plein fouet les précaires, plus personne n’affirme que le combat des femmes est acquis."
En juin, la campagne sauvage d’affichage d’OLF ! sur l’inégalité salariale ("Comment appelle-t-on un salarié payé 25 % de moins ?") a permis de recruter des jeunes femmes jusque-là rétives à tout engagement. Comptant à ce jour 300 militantes actives âgées en moyenne de 25 ans et 7 000 abonnés à sa lettre d’information (le dernier en date étant la Fédération française de football), OLF ! s’apprête à ouvrir sa onzième antenne locale. Pas de réunions en journée, mais une organisation en réseau et une volonté de prendre le contre-pied d’"idées reçues", titre de l’une des rubriques de leur journal téléchargeable gratuitement sur le Net (www.osezlefeminisme.fr), inaugurée par "Pourquoi les féministes ne sont pas des hystériques mal baisées qui détestent les hommes ?".
Lancé en juillet, leur site participatif, "Vie de meuf" (Viedemeuf.blogspot.com), recense des anecdotes et des témoignages révélateurs du sexisme dans le monde du travail et de la formation et rencontre un franc succès. Exemple : "Thésarde dans un laboratoire de biologie spécialisé sur les poissons, ma collègue et moi avons la visite du vétérinaire venu contrôler les aquariums d’expérimentation. Il entre dans le local, répond à notre "bonjour" et demande directement : "Il n’y a personne ici ?"... Ben si, deux thésardes, et une cinquantaine de poissons. Mais puisqu’il n’y avait pas d’homme, il n’y avait personne !"
C’est aussi sur les réseaux sociaux (Facebook, YouTube, MySpace) que circulent les vidéos des happenings orchestrés par le collectif La Barbe dont les activistes, postiche au menton, ont pris l’habitude de s’inviter dans les lieux de pouvoir politique et de décision économique (Institut de France, Sénat, Salon de l’actionnariat, etc.) afin d’y rendre visible l’hégémonie des hommes.
Deux ans après sa création, ce collectif organisait sa première fête, le 17 septembre au Comptoir général, à Paris. On y croisait Christine Delphy, chercheuse au CNRS et directrice de la revue Nouvelles questions féministes, Florence Montreynaud qui préside les Chiennes de garde, Hélène Gassin, vice-présidente (Europe Ecologie) de la région Ile-de-France, Florence Milowski, économiste et professeure à Sciences Po et, bien sûr, les sympathisants de La Barbe, hommes et femmes.
"Les mouvements féministes ne me convenaient pas, raconte Alix Béranger, cofondatrice de La Barbe et experte en questions de santé pour la Fondation de France et Sidaction. Beaucoup de temps y est consacré à discuter pour agir, même s’il est essentiel de verbaliser et théoriser. Nous, pour débattre du voile et de la prostitution, on organise des dîners en marge de nos réunions exclusivement destinées à planifier nos actions." La présidente du Mouvement français pour le planning familial, Carine Favier, se félicite de ce sang neuf : "La Barbe renforce ce qu’on peut dire à un moment donné, c’est une image plus fun qui sert notre propos. Plus il y a des formes d’expression diverses, plus on touchera des gens qui se retrouveront dans une action ou une autre. Les jeunes éprouvent un ras-le-bol qu’on présente toujours les femmes comme victimes."
Quarante ans après la naissance du Mouvement pour la libération des femmes (MLF), le féminisme, dont les nouvelles figures intellectuelles sont les romancières Joy Sorman et Virginie Despentes, l’essayiste Caroline Fourest, chroniqueuse au Monde et rédactrice en chef de la revue ProChoix se réinvente. "Notre féminisme n’est pas né dans l’euphorie des luttes ni dans l’espérance doctrinale, même si elles nous ont inspirées, réveillées et motivées. Il s’est plutôt constitué et incarné dans nos manières de parler ou pas, de démissionner ou pas, dans nos façons de draguer et de nous faire draguer, de mener nos amours et nos familles, de boire et de négocier une augmentation", peut-on lire en préambule de 14 femmes, pour un féminisme pragmatique (Gallimard, 2007), écrit principalement par Joy Sorman et Stéphanie Vincent.
Depuis deux ans, le féminisme se réinvente dans des collectifs comme PAF ! (Pour une alternative féministe), implanté dans le Pays basque, ou Libres Mariannes, dans le rock, dans le porno, sur scène, en librairie. Ou plutôt il renoue avec l’esprit, oublié, des années 1970, libertaires, fantaisistes, qui l’avaient vu éclore avec un geste fort : le dépôt d’une gerbe à la mémoire de la femme du soldat inconnu sous l’Arc de triomphe le 26 août 1970. Plus festif, plus souple, moins bavard, sans doute moins dogmatique.
Autres moeurs, autres modes de communication pour fustiger le sexisme, les discriminations persistantes, les violences faites aux femmes et les stéréotypes attachés à leur image. Et surtout, il accueille de nouvelles recrues après le déficit d’engagement observé au sein des mouvements historiques parmi les 30-45 ans.
Ce creux de la vague a correspondu avec la gauche au pouvoir dans les années 1980 puis au libéralisme triomphant de la décennie suivante. Le féminisme ? Les droits étaient acquis, les lois votées entendait-on, et le combat des femmes apparaissait dès lors comme secondaire, ringard, sinon moins prioritaire par rapport à la lutte contre la montée de l’extrême droite.
Mais dans les faits, qu’en est-il ? La mixité, certes, mais la parité ? Tel est le cheval de bataille et le martel de jeunes associations. "J’ai vraiment constaté une curiosité chez les 20-25 ans qui ne soupirent pas, comme moi à leur âge, au mot féminisme", témoigne Juliette Joste, 44 ans, coauteure de Merci les filles ! 1970-2010. Tout ce qu’il faut savoir sur le féminisme pour être ravissante mais pas idiote (éd. Hors Collection, 156 p., 16 €).
S’affranchir des diktats imposés aux femmes d’aujourd’hui, telle est l’ambition du bimestriel Causette, "magazine plus féminin du cerveau que du capiton". Agé de 28 ans, Grégory Lassus-Debat, diplômé d’anthropologie sociale et ancien pigiste à Charlie-Hebdo, l’a lancé sans étude de marché en mars 2009, avec 90 000 euros. Pas de people, nul régime-minceur, rien sur le maquillage ou les accessoires de mode, comme dans les grands titres de presse occupant ce créneau. Ni mannequin sublime ni stars photoshoppées.
Proposant grands reportages et rubriques à l’ironie mordante, telle "On n’est pas des quiches", il s’écoule aujourd’hui à 20 000 exemplaires. "Plus de 30 % de nos abonnements sont des cadeaux offerts par des hommes à leurs copines, à leur soeur et dans le courrier qu’on reçoit reviennent souvent les mots "enfin" et "merci"."
Pour promouvoir son magazine et rencontrer ses lectrices, l’équipe de Causette organise des apéros, où se produisent les POUF (Petite organisation ultra-féminine), trio de chanteuses déjantées et burlesques. "Ce n’est pas un concept féministe en tant que tel, mais on aime l’idée que les femmes se bougent dans des situations d’adversité, qu’elles rigolent des clichés et s’amusent de leur propre caricature", explique Maya, surnommée "Hard Pouf".
La dérision est aussi ce qui sous-tend la série de photographies d’art contemporain d’Hélène Epaud, intitulée "Tamponnées", en référence au tampon hygiénique glissé dans chacune de ses créations colorées qui tournent lors d’expositions itinérantes.
"L’humour est un moyen de retourner le stigmate, explique cette plasticienne de 33 ans, passée par Sciences Po et membre, lors de ses études rue Saint-Guillaume, des Sciences-Potiches, une association féministe aujourd’hui disparue. Les statistiques des violences conjugales, c’est lourd. J’ai du mal à entendre. Donc, on essaye de s’inscrire dans une logique positive, de sorte à créer et à avancer politiquement."
Macha Séry
Article paru dans l’édition du 14.10.10