Où sont les cheffes (suite)
"La cheffe Laurence Equilbey a souhaité réagir à la chronique d’Ivan A. Alexandre (Où sont les cheffes n°619). Nous lui ouvrons volontiers nos colonnes afin d’alimenter un débat qui a sans doute encore de beaux jours devant lui.
Cher Ivan,
Citée plusieurs fois dans ton article concernant l’égalité hommes-femmes dans la culture, je me permets cette réponse pour éclairer un peu le débat – du moins je l’espère. D’après toi, l’histoire est en marche et la femme aura enfin bientôt sa place dans la culture. Ouf ! Nous voilà rassurées.
Toutefois aujourd’hui, force est de constater que les choses n’avancent pas aussi vite que tu le dis, voire régressent, selon tous les indicateurs actuels (notamment d’après les chiffres de la SACD, qui les publie dans le but d’objectiver la situation, sans que j’en sois l’instigatrice d’ailleurs). Les chiffres sont effrayants.
Si comme tu le dis, les artistes femmes courent maintenant le monde, où sont-elles ? Comment justifier aujourd’hui qu’il y ait si peu de femmes parmi les solistes instrumentaux et les chefs d’orchestre programmées, malgré une proportion loin d’être minoritaire d’étudiantes dans les cursus pédagogiques internationaux Comment expliquer que si peu de compositrices contemporaines soient jouées, malgré une large présence de talents féminins dans les classes de composition ? Pourquoi les metteuses en scène bénéficient-elles si peu des moyens de productions publics au théâtre et à l’opéra ? Pourquoi si peu de femmes réalisatrices au cinéma, alors que la Fémis est paritaire aujourd’hui ?
Cet empêchement ancestral doit aujourd’hui cesser. Il est temps de siffler la fin de la récréation, de considérer que les femmes ont aussi des choses à dire, à défendre, à créer. Ou alors, il faut arrêter l’hypocrisie de les former au plus haut niveau.
Je suis d’accord avec toi : une nouvelle page de l’Histoire s’écrit pour les femmes artistes mais elle ne s’écrira pas « naturellement ». Croire que ce serait le cas est, tu me pardonneras d’un grand angélisme, voire naïf. Tant qu’un seuil critique ne sera pas atteint il faut au contraire militer, convaincre, se battre comme on le fait pour que les grandes causes progressent. Cette cause est une nécessité vitale pour les femmes et elle est indispensable pour que la culture trouve sa nouvelle pulsation et résonne dans notre société.
Le ministère de la Culture le Sénat, les mouvements militants l’ont compris, et oeuvrent courageusement contre les empêchements inconscients et les conservatismes, bien réels, au nom de l’égalité, au nom de l’accès à la création pour toutes et tous. Puissent leurs actions trouver un réel écho au sein des institutions culturelles publiques. Et l’Histoire ne s’en portera que mieux,
Bien amicalement,
ton inévitable Laurence Equilbey. "
(actualités, Coulisses in la revue Diapason)