Trop d’hommes aux commandes ? La Barbe ! - Le Nouvel Observateur

Leur tactique : investir, affublées de postiches, des lieux de pouvoir trop exclusivement masculins
Même « l’Obs » y a eu droit ! C’était le 6 février. Elles ont bondi sur la scène, le visage caché derrière de fausses barbes, dans la grande salle du Collège des Bernardins, à Paris, où se tenaient les journées portes ouvertes du « Nouvel Observateur ». Devant un amphi plein à craquer, où les responsables du journal planchaient sur l’avenir de la presse, les mystérieuses femmes à postiches ont brandi silencieusement leurs drôles de pancartes : « Bravo », « Merci ». « Vous êtes formidables ». Huit femmes seulement... pour cinquante-six hommes avaient été invitées à participer à nos vingt-quatre tables rondes. Elles tenaient donc, à leur façon, à « féliciter » le journal !

Ainsi débarquent-elles à l’improviste, depuis deux ans, dans les lieux stratégiques où la proportion d’hommes aux commandes est écrasante. Et plutôt que de grogner, elles se moquent et font rire. « Bravo, les hommes, vous vous en sortez bien ! » La Barbe, c’est le nom de leur mouvement et leur emblème. « Puisqu’il faut des poils pour accéder au pouvoir ! » Leur première opération, en 2008 : solliciter, lors d’une signature chez Virgin, le haut patronage du journaliste Eric Zemmour, auteur d’un ouvrage dénonçant... les dangers de la féminisation de la société. Puis on les a vues à l’Assemblée nationale, au Sénat, dans des réunions d’actionnaires de grandes entreprises, au Salon des Entre preneurs... Elles ont interrompu la présentation de rentrée du Théâtre de l’Odéon pour applaudir le directeur : « Huit saisons sur douze sans metteuse en scène programmée ! Bravo ! » Elles ont fait irruption à l’Institut de France lors de la rentrée des académies devant le parterre sidéré des immortels en uniforme : « Vingt-trois femmes élues sur 223 nouveaux élus aux cinq académies depuis 2000. » Bravo encore !

Dérision et médiatisation
Leurs opérations commando, elles les préparent soigneusement derrière un verre de bière, dans un café branché du 20e arrondissement de Paris. Une bande de copines de tous âges, entre 30 et 50 ans, décontractées et rigolardes. Plus marrantes que certaines de leurs grandes ancêtres des années 1970, même si elles revendiquent la filiation. Ici, pas de grands débats idéologiques. Mais de l’efficacité et de la gaieté. Ce soir- là, Alix, la trentaine alerte, salariée d’Europe Ecologie, « modère » la réunion. Il y a là Anne, permanente d’associations antisida, Mathilde, une géologue réputée, Christine, qui a fondé un cabinet de recrutement, Anna, ex-galeriste en Australie, et de nouvelles venues amusées par le mode d’action. On passe en revue les cibles potentielles, notamment des grandes entreprises. On demande à Catherine, cadre de banque, comment devenir actionnaire pour s’introduire dans une assemblée générale. Sur l’écran d’un ordinateur portable, Marie, une des fondatrices, s’exprime depuis New York, où elle vit désormais, par l’intermédiaire d’une webcam. On recense les volontaires pour la prochaine opération. Au départ, il y avait une poignée d’amies. Le déclic, ce fut la présidentielle de 2007 et sa « déferlante de propos de sexistes ». « Même si on n’était pas forcément pro-Ségolène ! souligne Mathilde, on a décidé de bouger. »
La méthode a été en partie mise au point par Marie. Elle avait milité à Act-Up observé les activistes américains et leurs armes : dérision, imagination, médiatisation. Les actions sont filmées puis présentées sur You Tube. Ainsi, pas besoin d’être des milliers pour faire du bruit. Comme à Génération Précaire ou à Sauvons les Riches, auxquels on les compare souvent. Quelques dizaines de militantes ont déjà 34 opérations à leur actif ! Qu’on se le tienne pour dit. La liste des cibles potentielles est, paraît-il, encore très longue.
Elysée : 100% homme
« On cite toujours le pourcentage de femmes en poste. Mais c’est celui des hommes qu’il faut faire ressortir », clament les femmes de la Barbe. Cela donne des tableaux statistiques comme celui-ci.

- Présidence de la République : 100% homme.
- Assemblée nationale : 81,5% d’hommes.
- Sénat : 78% d’hommes.
- Présidence conseils régionaux : 96,2% d’hommes.
- Beaux-arts : 90% des oeuvres exposées dans les musées et galeries de notre pays, créées par des hommes.
- Théâtre : 78% de metteurs en scène programmés dans les théâtres nationaux.

Commentaire compatissant de la Barbe sur ce dernier pourcentage : « C’est la débâcle ! »
Jacqueline de Linares

Soutenir par un don