Qui sont les nouvelles feministes ? - ELLE

Le MLF (mouvement de libération des femmes) est né il y a quarante ans, mais à quoi ressemble aujourd’hui le combat des femmes, et qui milite encore pour leur cause ?

Mentons garnis et écriteaux en main, elles s’immiscent dans les plus hautes sphères de la société : assemblées générales de grandes entreprises, institutions politiques et culturelles, plateaux télé... L’objectif de ces drôles de dames à barbe ? Congratuler, avec un poil d’ironie, tous ces hommes de pouvoir qui, du sommet de la hiérarchie, résistent héroïquement à la féminisation de la société. "Pour exprimer leur ras-le-bol haut et fort, elles ont décidé d’investir, barbues, tous les hémicycles, toutes les antichambres, tous les lieux du pouvoir des hommes.
Que la barbe des femmes soit le signe de leur volonté de résister à l’hégémonie masculine et de rendre visibles et ridicules toutes les situations d’inégalité entre hommes et femmes !" dit le manifeste du groupe d’action la Barbe, né il y a deux ans. Pour ces militantes d’un nouveau genre, le coup d’éclat et la dérision valent mieux que des centaines d’heures de débats théoriques autour de la condition de la femme. Leur but est avant tout de frapper les esprits, comme l’avaient fait avant elles les féministes "historiques". Rappelez-vous, ce 26 août 1970 : une poignée de femmes déposaient une gerbe sous l’Arc de triomphe à la mémoire de la femme du soldat inconnu. Elles donnaient alors naissance au Mouvement de libération des femmes (MLF), qui allait mener aux conquêtes que l’on sait.
Des mouvements devenus mixtes
Quarante ans après sa création (2), comment se porte le féminisme ? Plutôt bien, en dépit des apparences. Depuis les combats glorieux des années 1970, le mouvement a en effet connu des époques plus ou moins fastes, allant du sévère retour de bâton des années 1980, avec le "ras-le-bol des superwomen" (3), au vote de la loi sur la parité, dans les années 1990. Et aujourd’hui ? "On assiste à la montée d’une troisième vague, explique la sociologue Michèle Ferrand (4). Après les suffragettes du xixe siècle et les féministes des années 1970, de nouveaux mouvements émergent, comme les Ni putes ni soumises, Mix-Cité ou encore Osez le féminisme ! Ils ont pour particularité d’être mixtes, contrairement à ceux des années 1970.
Tous vont également contre l’idée, trop souvent admise, que les acquis sont inattaquables et que les inégalités se situent désormais à la marge." Des sentiments qui sont assez répandus chez les jeunes femmes d’aujourd’hui, qui observent bien souvent d’un drôle d’oeil ce combat qu’elles considèrent comme d’une autre époque, pour ne pas dire complètement ringard. "Il est vrai que, dans l’esprit de certain(e)s, le féminisme est associé à une lutte d’arrière-garde, menée par de vieilles hystéro hargneuses et véhémentes, rappelle Michèle Ferrand, pour qui l’antiféminisme est toujours vif. Beaucoup de jeunes femmes emploient cette formule : "Je ne suis pas féministe, mais..." Elles semblent être conscientes des injustices, mais elles redoutent l’effet que pourrait induire le fait de se revendiquer comme féministes."

"Beaucoup de gens croient que les femmes ont tout conquis"
Que ceux pour qui l’image de la féministe se réduit encore à celle d’une "hystérique-frustrée-qui-déteste-les-hommes" se rendent donc à l’une des réunions du collectif Osez le féminisme !, lancé il y a un an par une poignée de jeunes femmes âgées de 20 à 35 ans. Issues pour la plupart du militantisme politique et syndical, ces nouvelles activistes, plutôt glam’ et décomplexées, veulent remettre le féminisme "à la mode", le déringardiser en replaçant la question de l’égalité homme-femme au coeur des débats de société. Le mouvement a été créé dans un sursaut, à l’hiver 2009, lorsque des menaces de coupes budgétaires ont plané sur les finances des plannings familiaux. "Le féminisme d’aujourd’hui est en grande partie une résistance aux remises en question des acquis", remarque Françoise Picq (6), historienne du féminisme et enseignante à Paris-Dauphine.
"Beaucoup de gens ont le sentiment que les femmes ont tout conquis, tout gagné, regrette Caroline De Haas, cofondatrice d’Osez le féminisme ! Or ce n’est pas le cas, loin de là. Et il suffit de citer quelques chiffres pour mesurer l’ampleur de ce qui nous reste à accomplir : le différentiel de salaires est toujours de 20% en défaveur des femmes ; 80% des emplois précaires sont occupés par des femmes ; une femme est violée en France toutes les dix minutes ; il y a 81,5% d’hommes sur les bancs de l’Assemblée nationale ; 80% des tâches ménagères sont encore le "privilège" des femmes... Dois-je continuer ?" égrène-t-elle, avant d’ajouter, lucide :"Avant de convaincre les femmes de s’engager, il faut déjà les persuader qu’il y a des problèmes."

AFP
Photo récupérée le 29 mars 2005 de l’affiche de la campagne de l’association "Ni putes ni soumises" (NPNS) qui lance un "guide du respect".

Ces problèmes, les femmes les découvrent la plupart du temps en entrant sur le marché du travail, quand elles sont concrètement touchées par une injustice ou une discrimination liées à leur sexe. Caroline De Haas raconte, quant à elle, que c’est en découvrant l’ampleur du fléau du viol dans son entourage qu’elle s’est décidée à quitter les rives de la théorie pour l’action : "Je suis passée d’un féminisme intello à un féminisme viscéral, avec un réel sentiment d’urgence à agir", dit-elle.

Le féminisme renaît à travers les réseaux sociaux
Se posant fièrement comme des héritières des "anciennes", comme elles les appellent, les filles d’Osez le féminisme ! ont adapté leurs façons de militer aux outils de notre époque : elles diffusent leurs idées par le biais d’une revue téléchargeable sur leur site et ont déjà plus de 3000 "ami(e)s" sur le réseau Facebook. "Internet est un formidable instrument de mobilisation. Grâce à lui, les jeunes militantes agissent à une autre échelle que nous, dans les années 1970, se réjouit Françoise Picq. Par ailleurs, le féminisme d’aujourd’hui n’est plus un enjeu autonome, mais il est souvent inclus dans un combat politique plus large. On est féministe à travers une lutte sociale, un engagement antiraciste, altermondialiste..." Un élargissement de point de vue qui correspond assez bien au positionnement des militantes d’Osez... : "Notre objectif est de transformer la société !" Pas moins. Alors avis aux amateur(rice)s !
(1) A l’occasion des 40 ans du MLF, un blog recense les initiatives prises pour fêter cet anniversaire : http://re-belles.over-blog.com
(2) Le Ras-le-bol des superwomen, par Michèle Fitoussi. Calmann-Lévy, 1997.
(3) Auteure de Féminin, masculin. La Découverte, 2004, 128 p., 9,50 euros.
(4) Auteure de Libération des femmes. Les années-mouvement. Seuil, 1993.

Sihem Habchi, 34 ans, présidente de Ni putes ni soumises

T.Dudoit/LEXPRESS
Sihem Abchi, présidente de "Ni Putes Ni Soumises"

"Les féministes des années 1970 ont accompli de grandes choses, mais elles se sont arrêtées aux portes des quartiers ghettos. Elles se sont enfermées dans des carcans bourgeois et intellectuels. En 2005, nous avons lancé un appel pour un nouveau combat féministe, ce qui n’a pas été très bien perçu chez les anciennes, qui ne comprenaient pas notre démarche. A Ni putes ni soumises, nous revendiquons un féminisme populaire, d’urgence. Un féminisme tourné vers les principes de laïcité et de mixité, qui sont les garants de l’égalité des sexes. Que les filles ne militent plus aujourd’hui est compréhensible : elles sont déjà en lutte sur tant de fronts dans leur vie quotidienne qu’il est difficile de leur demander de s’engager davantage. Le féminisme est pourtant un moyen essentiel d’édicter de nouvelles règles du vivre-ensemble."
Joy Sorman, 37 ans, écrivaine
"J’ai l’impression que le féminisme ronronne et que son discours tourne en rond. C’est pour cela qu’il est devenu un combat secondaire aux yeux de certains. Pour moi, le féminisme devrait quitter la théorie pour revenir au réel, à la vie ordinaire des femmes, parce que c’est là, dans les microactes de la vie quotidienne qu’il se niche aussi. Que faisaient les militantes quand les caissières de supermarché étaient en grève ? Elles protestaient contre la couverture du Nouvel Observateur qui montrait les fesses de Simone de Beauvoir. Le défi des années qui viennent est d’inclure les hommes dans le combat : si l’on veut lutter contre l’idée d’un éternel féminin, nous devons aussi combattre celle de l’éternel masculin. Par ailleurs, le féminisme devrait se rapprocher des luttes syndicales, car c’est sur le terrain du travail que les femmes ont beaucoup à gagner."
Coauteure de 14 femmes pour un féminisme pragmatique. Gallimard, 156 p., 11,50euros. A paraître : Parce que ça nous plaît. L’invention de la jeunesse, avec François Bégaudeau. Larousse, 256 p., 17euros.
Clémentine Autain, 36 ans, femme politique et cofondatrice de Mix-Cité
"Lorsque nous avons créé Mix-Cité, en 1997, nous nous inscrivions dans la continuité du mouvement féministe des années 1970. A cette époque, les femmes avaient gagné l’égalité formelle, juridique ; à nous de lutter aujourd’hui pour l’égalité réelle, dans les faits. Ce qui n’est pas facile, car le mot d’ordre est plus diffus et la victoire potentielle, plus difficile à obtenir. Je m’explique : en 1970, les femmes réclamaient le droit à l’avortement. Elles ont lutté et une loi a été votée. Aujourd’hui, si l’on veut combattre l’injustice ménagère, une loi, forcément inadaptée, n’y suffira bien évidemment pas. Il est vrai que le féminisme est considéré comme un combat secondaire par certaines. Cela peut se comprendre, car se dire féministe, c’est aussi se dire opprimée, ce qui est douloureux. Pour beaucoup, les discriminations sont résiduelles et l’on tend irrémédiablement vers l’égalité. Ce n’est pas vrai. On assiste à de vrais reculs en matière de droits des femmes, dans le travail, par exemple, avec, notamment, l’explosion du temps partiel contraint, qui met les femmes en situation de grande précarité."

Caroline Fourest, 34 ans, essayiste et fondatrice de la revue ProChoix
"Contrairement à de nombreuses jeunes féministes qui rejettent le Mouvement de libération des femmes -souvent parce qu’elles ont intériorisé la mauvaise image que certains conservateurs ont voulu donner du féminisme- j’assume cet héritage. Le féminisme auquel j’adhère déconstruit les rapports de forces à la racine, notamment le mythe de l’ordre naturel, celui du féminin et du masculin qui en découle, et tout un ensemble de représentations à partir desquelles on a bâti le patriarcat. Ce regard incisif sur la domination me sert tous les jours dans mon combat contre les intégrismes. Le féminisme reste la meilleure arme devant le retour des conservatismes religieux de tout type. Il faut se battre pour l’égalité des salaires, l’accès plus important des femmes aux conseils d’administration, mais aussi contre cet exotisme qui tolère le sexisme au nom du religieux. L’émancipation sexuelle féminine est loin d’être acquise dans certains beaux quartiers mais plus encore dans les secteurs populaires, où les femmes ont moins d’autonomie financière. Le féminisme est un universalisme. Il n’est pas question que l’émancipation ne profite qu’à une élite. La liberté et l’égalité valent pour tous."

Par Emilie Dycke

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