Le Monde.fr : "Le CSA va au Collège". 11/12/13- Langue piquante, blog des correcteurs du Monde

9 décembre, Collège de France, une première : le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) conviait toute la journée à un colloque sur le thème “Quel avenir pour la langue française dans les médias audiovisuels ?”. Sonne-t-il quelque peu “no future”, cet avenir ? La formulation de la question pouvait le laisser entendre. Enfin, simple impression...
Dans l’amphi’ “Marguerite de Navarre” (mère-grand d’Henri IV et auteure de L’Heptaméron), il y eut du beau linge à la tribune...

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Le CSA va au Collège

Dans la cour du Collège de France, Champollion s’interrogerait-il sur l’avenir de la langue française dans les médias audiovisuels ?
9 décembre, Collège de France, une première : le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) conviait toute la journée à un colloque sur le thème “Quel avenir pour la langue française dans les médias audiovisuels ?”. Sonne-t-il quelque peu “no future”, cet avenir ? La formulation de la question pouvait le laisser entendre. Enfin, simple impression...
Dans l’amphi’ “Marguerite de Navarre” (mère-grand d’Henri IV et auteure de L’Heptaméron), il y eut du beau linge à la tribune (ministres, académiciens, responsables de la francophonie, responsables de chaînes, linguiste, professeurs...) mais aussi du linge plus modeste qui s’invita en coup de vent et tout en banderole et lecture d’un tract.

L’une des missions du susdit CSA, fut-il rappelé par Patrice Gélinet, ancien de la radio publique, membre du Conseil et pour l’occasion président des débats, est de veiller “à la défense et à l’illustration de la langue française dans la communication audiovisuelle” (coucou du Bellay). Oui, défense, on l’aura compris, contre l’english prégnant, et même “logique protectionniste” (dixit Sylvain Lafrance :-), prof’ à Montréal) qu’au Québec avec ses 7 millions d’habitants sertis dans un territoire de 330 millions d’anglophones. Le Québécois dit d’ailleurs sentir, quant à la francophonie, une certaine froideur de la France, qui ne brille guère comme un “phare”, mais plutôt comme une “lumière faible”,... et il propose les services du Québec pour la traduction du titre de l’émission “The Voice” sur TF1 ; émission achetée non pas à un pays anglo-saxon mais... aux Pays-Bas, les acheteurs français semblant commercialement ligotés par ce titre anglais.
Le français, une langue qui progresse, affirme en chiffres Imma Tor (220 millions de locuteurs dans le monde, “chiffre minimaliste car il prend en compte ceux qui savent à la fois parler, lire et écrire en français”), dont la moitié sur le continent africain. Le bémol venant d’emblée (et c’est un bémol qui dépasse largement le sujet du jour), concernant l’Afrique, de l’Ivoirien Ibrahim Sy Savané, président de l’HACA (équivalent du CSA) : “Le français, comme on dit chez nous, n’est pas sur cale, il n’est pas en panne, mais ce que nous constatons, c’est une régression de l’éducation, avec parfois un retour à la situation des années 60.”
A propos d’éducation, Marie-Christine Saragosse, pédégère de France Médias Monde, dont fait partie RFI, informe sur un outil d’apprentissage créé sur cette chaîne : Le Talisman brisé, “une aventure africaine pour se familiariser avec le français”.
L’académicien Erik Orsenna (qui, étrangement, ponctuait la fin de chacune de ses interventions par un brusque coup de doigts sur l’interrupteur de son micro afin d’en couper le son, style de ponctuation tout académique ?) estime, lui, qu’il est “des endroits pires que l’audiovisuel” pour entendre de l’anglais à tout bout de champ, le train par exemple. L’oreille lui était encore douloureuse au souvenir d’un “Monop’ Daily” lancé par le serveur du bar dans un TGV, à présent que se sont associés pour la “restauration embarquée” Monoprix et la SNCF.

Dans l’enceinte du Collège de France, "le jeune Pascal résolvant un problème"
François Jost, prof’ à l’université Paris-III, qui estime que le français n’est pas plus envahi par l’anglais que l’anglais par le français (cf., dit-il, le vocabulaire de la cuisine aux Etats-Unis), rappelle que la langue ce n’est pas que le vocabulaire, mais aussi la syntaxe. Ayant travaillé sur pas mal d’émissions des années 50 visibles dans les archives de l’INA, il y est frappé par “le français extraordinaire” parlé par des ouvriers, des paysans. “Aujourd’hui, on ne donne pas la parole aux Français, on choisit dans leur parole les énoncés grossiers.” Une remarque reprise en pleine volée par le Monsieur Langue française de TF1, Jean-Claude Narcy, pas sur la même longueur d’onde. Hélène Carrère d’Encausse, de l’Académie française, peu avant : “Nous sommes submergés de remarques de gens qui ne reconnaissent plus dans les médias le français qu’ils ont appris.”
Pour revenir à l’anglais, Bernard Cerquiglini, recteur de l’Agence universitaire de la francophonie, ne voit qu’un "turn-over" dans les anglicismes, des effets de mode, comme smart chez Proust, ou spleen (ce si joli mot traînant et mouillé) chez Baudelaire.
Xavier North, délégué général à la langue française et aux langues de France, détaille : « En France, on emprunte massivement à l’anglo-américain, et le français n’assimile plus ni phonétiquement (on ne prononce pas à la française, ce qui rimerait avec “camion”, les “stock-options”), ni graphiquement (comme ce fut le cas de “packed-boat” à “paquebot”), ni syntaxiquement (voir la position des adjectifs). » Bref, l’anglais est parlé en VO.
Idée académicienne (Erik Orsenna), “pourquoi ne pas décerner chaque année une Victoire du français” qui récompenserait un média ne laissant pas en plan cette langue ? Dans le public, une représentante de l’ATAA (Association des traducteurs/adaptateurs de l’audiovisuel) précise à ce propos qu’existent, créés par cette assoc’, des prix du sous-titrage et du doublage.
Depuis le début du colloque, une réflexion grammaticale me revenait sans cesse à l’esprit : “le masculin l’emporte sur le féminin”, à la vue de la tribune, 18 colloquants, 6 colloquantes...

Et voilà que surgissent des coulisses quelques femmes à barbe de carton ou tissu déployant une banderole où s’inscrit en lettres blanches sur fond noir “La Barbe”, nom d’un groupe d’action féministe, et qu’est lu un tract à la tribune, intitulé « Le CSA parle toujours aussi “mâle” français ».

Le tract diffusé par le groupe féministe La Barbe lors du colloque du CSA au Collège de France le 9 décembre 2013
Six colloquantes, disais-je, dont — pas de chance — deux qui refusent farouchement de féminiser leur titre, Hélène Carrère d’Encausse, sans faille “secrétaire perpétuel de l’Académie française”, et Maryam Salehi, qui en tient pour “directeur délégué à la direction générale de NRJ Group” “par respect pour la langue française”... La belle chose que le respect
Revenons à nos sheeps. Pierre Bellanger, président de Skyrock, plaida pour son “chaudron” radiophonique, son “bouillon dans lequel la langue naît” : “Le patrimoine de la langue, d’accord, mais il faut aussi le désordre, la folie, la libre expression populaire de la nouvelle génération.”
“Le problème du français, pour Nicolas Jacobs, médiateur de l’info’ de France 2, c’est qu’il soit sous perpétuelle surveillance, ce qui se situe sur un temps différent de celui du temps journalistique, rapide lui. L’anglais, au contraire, dans sa langue des médias, invente, crée sans arrêt des mots-valises.” Cela dit, le même signale que le courrier des lecteurs exprime une forte demande d’exigence envers le service public : en substance, “vous ne savez pas écrire, pas parler, donc vous ne savez pas informer ; pourquoi reprendre tels quels mots et phrases en anglais ? ; fait nouveau, on nous dit : Quand vous détruisez un mot français, vous laissez parler l’ennemi". Exemple donné : les réactions enflammées face à l’emploi jusqu’à plus soif du mot burn-out, le syndrome d’épuisement professionnel (ainsi que le préconise France Terme), qui évidemment doit jouer contre la fulgurance de l’image anglaise.
A la fin de la journée, une idée (de Jean-Claude Narcy, TF1) fusa : organiser une “Journée sur la langue française” sur les chaînes de télé et de radio. Une seule ?
Martine

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