Festival de Cannes Tribune du 12/05/2012

Le Festival de Cannes 2012, Un homme est un homme !

Tribune parue dans le Monde daté du 12 mai 2012

« Qu’est-ce qui a changé dans le cinéma ? Tout ! » s’exclamait Gilles Jacob, président du festival de Cannes, lors de la présentation des films sélectionnés pour la 65e édition. Tout ?! Un instant, nous avons frémi. A tort, puisque les vingt-deux films de la sélection officielle ont été réalisés, heureux hasard, par vingt-deux hommes. Pour sa 65e édition, le festival couronnera donc pour la 63e fois l’un d’entre eux, défendant ainsi sans faillir les valeurs viriles qui font la noblesse du 7e art.

Une fois seulement le festival de Cannes a flanché. En 1993, la palme était en effet attribuée à Jane Campion, une réalisatrice – odieux vocable qui pervertit tout autant la langue française que ce grand art. Et l’an dernier, par manque de vigilance sans doute, quatre femmes s’étaient immiscées parmi les vingt nominés à la compétition officielle. Thierry Frémeaux, délégué général, ne manquait pas de le remarquer : « C’est la première fois qu’il y a autant de femmes ». Coupable faiblesse ! D’autant plus impardonnable que les Césars avaient en 2011 montré un digne exemple en ne sélectionnant aucune femme dans les catégories « meilleurs films » ou « meilleure réalisation ».

Messieurs, vous avez retrouvé vos esprits et nous nous en réjouissons. Le festival de Cannes 2012 permet à Wes, Jacques, Leos, David, Lee, Andrew, Matteo, Michael, John, Hong, Im, Abbas, Ken, Sergei, Cristian, Yousry, Jeff, Alain, Carlos, Walter, Ulrich, Thomas, de montrer une fois de plus que "Les hommes aiment la profondeur chez les femmes, mais seulement dans leurs décolletés"

Cette sélection exemplaire est un signe fort envoyé à la profession et au public du monde entier. Car, qui mieux que le cinéma, qui mieux que Cannes, le plus prestigieux festival au monde, pour être le porte-voix de cet immuable message ? Avec une grande lucidité sur le rôle primordial d’un tel événement, vous avez su empêcher toute velléité féminine de briguer une quelconque place dans ce milieu si bien gardé. Surtout, ne pas laisser penser aux jeunes filles qu’elles pourraient avoir un jour l’outrecuidance de réaliser des films et gravir les marches du Palais autrement qu’au bras d’un prince charmant.

Ne suffit-il pas qu’elles puissent rêver d’être un jour LA maîtresse de cérémonie de la soirée d’ouverture du festival ? Bérénice Béjo en 2012, Mélanie Laurent en 2011, Kristin Scott-Thomas en 2010. Les femmes sont de parfaites hôtesses, que l’on rendra heureuses d’un simple, "t’as de beaux yeux, tu sais", ou autres compliments bien tournés. Des icônes troublantes aussi que vous savez laisser à leur juste place : en vitrine et sur papier glacé. Les affiches du festival en témoignent : cette année c’est Marilyn Monroe qu’on célèbre, en 2011 Juliette Binoche, en 2009 Monica Vitti, et en 1989 une Marianne de la République incarnait le prestigieux festival. En 1976, ce sont les fesses nues d’une femme qui étaient à l’honneur. De quoi se plaindraient nos muses ? Elles sont célébrées pour leurs qualités essentielles : beauté, grâce, légèreté… Evitons-leur les affres de la direction d’une équipe de tournage, épargnons-leur la pénible confrontation avec les contraintes techniques d’un plateau. Qu’iraient-elles s’ennuyer dans le comité d’organisation où se prennent les décisions importantes et qui, pour preuve, n’a connu depuis sa création que des présidents ? Gardons aux hommes la lourde charge de ces fonctions rébarbatives, comme l’ont bien compris les Américains qui occupent 77% des sièges de l’Académie des Oscars.

Aux femmes les bobines à coudre, aux hommes celles des Frères Lumière !

La Barbe, groupe d’action féministe, avec le soutien de Coline Serreau, Virginie Despentes, Fanny Cottençon, Marie-Christine Blandin, Zabou Breitman, Annie Ernaux, Nancy Huston, Roser Montlló Guberna, Brigitte Seth, Blandine Pélissier, Charlotte Silvera, Evelyne Dress, Patricia Bardon, Jackie Buet, Patric Jean, Frédérique Lantiéri, Frédérique Pollet-Rouyer, Lola Lafon, Corinne Rufet et d’autres personnalités, les Guerilla Girls, Osez le Féminisme et d’autres organisations féministes (voir liste des signataires)

Le festival de Cannes en images, c’est ici  !

Nous vous encourageons également à signer cette pétition de Women and Hollywood : Cannes Film Festival : Where AreThe Women Directors ?

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