FRANCE : NOUVEAU MOUVEMENT FEMINISTE

La Barbe" fait des siennes.

Pourvues de barbes postiches, une cinquantaine de jeunes femmes se sont donné depuis février 2008 pour mission d’investir deux fois par mois les hémicycles, antichambres et lieux de pouvoir français des hommes "pour tenter de reprendre le pouvoir". Comment lire la si rapide notoriété de ces femmes à poils ?

Un nouveau jeune groupe d’action féministe, baptisé La Barbe, entend dénoncer la suprématie masculine dans les lieux de pouvoir. Affublées de barbes postiches, une cinquantaine de jeunes femmes se sont ainsi donné pour mission d’investir deux fois par mois les hémicycles, antichambres et lieux de direction du monde des entreprises "pour tenter de reprendre le pouvoir".

Mi-avril, quelques-unes d’entre elles ont ainsi accueilli les actionnaires de Carrefour venus assister à l’assemblée générale aux cris de "Halte à la féminisation des instances dirigeantes !" Elles se sont amusées à les mettre en garde contre "la dangereuse brèche" ouverte par Anne-Claire Taittinger, seule femme parmi les 18 membres du comité directoire et du comité de surveillance du groupe. "Il est important de se ressaisir pour rétablir l’ordre naturel des choses (...) Cette assemblée générale des actionnaires est l’occasion de prendre la mesure du danger : non à la féminisation de la société !" ont-elles ironisé. Selon l’Institut français des administrateurs, les femmes représentent moins de 8 % des conseils d’administration des entreprises du CAC 40.

Mais l’opération "Carrefour" n’était que la récidive d’un évènement similaire antérieur... Le Jeudi 27 mars précédent, à l’hôtel Hyatt de Paris, le groupe La Barbe avait investi déjà en effet l’Assemblée Générale Ordinaire du Conseil National des Centres Commerciaux (CNCC). Le CNCC, composé essentiellement de géants de l’immobilier commercial et de la grande distribution, s est vu féliciter ce jour-là par une femme à barbe pour avoir su « résister à l’attrait de la féminisation des instances du pouvoir ». La Barbe a plaisanté aussi sur la présence de l’unique femme présente au sein de l’instance dirigeante : en établissant un tel précédent, vous ouvrez une brèche qui aura pour conséquence que le pouvoir ira demain aux caissières elles-mêmes, ont chahuté en substance les militantes.

Le 8 mars 2008, Journée Mondiale des Femmes, La Barbe avait escaladé la statue de La République à Paris pour l’affubler d’une barbe postiche. Le mouvement était publiquement lancé. Pour La Barbe, peut-on lire sur le site du mouvement, "il s’agit de redonner aux femmes l’envie de prendre le pouvoir, et la capacité de se représenter dans les plus hautes sphères de la politique, des finances, des médias comme de la culture".

Aussitôt médiatique (on note une interview au Journal de 13H sur une grande chaîne télévisée nationale, dûment placée sur Internet peu après), utilisant la vidéo installée ensuite on-line pour filmer ses actions, la Barbe a vite gagné une petite notoriété...

Pour quelles raisons ? Apparemment moins pour le scandale mis en exergue par le groupe, celui du faible nombre de femmes dans les instances dirigeantes, que pour l’attrait des méthodes employées par ces féministes à l’ère du spectacle....

Oui, mais parmi les milieux féministes français, qui les plébiscitent également, ou du moins les évoquent avec une sympathie certaine ?

Est-ce pour leur capacité de provocation et de détournement des symboles qui rappelle les actions féministes des années 70 ? ... Et pour un côté féministe de ce fait très "rassurant" en ces temps de polémique sur les nouvelles voies d’un féminisme pris dans les tempêtes des questions internationales, antiracistes et religieuses ?

Parce que La Barbe fait ainsi un pied-de-nez facile à décrypter au prétendu "essoufflement" du féminisme (et au désabusement exprimé quant à son déploiement qui se ferait aujourd’hui davantage dans le champ universitaire que proprement sur le terrain) ?

Peut-être aussi pour son côté "activiste" contemporain, faisant usage de l’action de rue, du coup de force symbolique, du déguisement et de l’usage des nouvelles technologies, ce qui réfère éventuellement aux nouvelles formes d’intervention altermondialistes depuis Seattle et Gênes, à l’instar par exemple de la BAC (la Brigades des Clowns) en France ?

Un peu pour toutes ces raisons probablement...

En attendant, la critique ne s’élève pas tant du côté des personnes et institutions ciblées par La Barbe (même le journaliste provocateur Eric Zemmour, qui a fait les frais de la toute première action du groupe fin février 2008, pose au final avec plaisir aux côtés des militantes barbues, comme en témoigne le site du mouvement ; voir aussi les vidéos, où les "agressés" hésitent avant tout entre sourire et gêne).

Non, la critique s’élève ici et là d’abord du côté des milieux LGBT et de théoricien-ne-s des questions genre : comment peut-on mener une action jouant sur des attributs physiques figés du masculin et du féminin pour dénoncer le sexisme, alors que les théories du genre ont apporté entretemps de nouvelles lectures des rapports de pouvoir et appellent à une subversion de ces attributs et au brouillage des codes comme travail de sape des plus urgents ? En s’affublant de postiches pour exprimer leur indignation, les militantes de La Barbe entérineraient finalement une lecture bisexuée figée qui conforterait paradoxalement au final le rapport de force au lieu de le renverser. Le manifeste du mouvement ne dit pas vraiment autre chose : "Que partout où les hommes se croient en terrain conquis, les barbes disent que les femmes aussi veulent en être, quitte à jouer le jeu de la masculinité, quitte à arborer les attributs du pouvoir." En d’autres termes, et pour tenter une conciliation entre toutEs : le pouvoir, c’est la barbe...

Karine Gantin, ResistingWomen.Net

Sources informatives : Le Monde, Haktivist News Service, DailyMotion, Site La Barbe

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