Analyse et revolte

Je parlais ici samedi de la pétition de la Barbe que je vous rappelle que vous pouvez signer ici :
labarbeacannes.blogspot.fr
Je n’ai pas eu le temps de faire très long mais chaque jour la nécessité de cette pétition se fait un peu plus sentir. En effet, les réactions au texte, finalement très modéré initié par La Barbe, sont extraordinaires. Celle du Président du festival qui estime en substance que ce n’est pas sa faute s’il n’y a pas assez de femmes qui ont fait de bons films…
en passant par les Inrockuptibles qui renvoient les féministes à leurs foyers ou plutôt-dirais-je à leurs affiches. La gueule englamourée en 2D placardée partout, où en maîtresses de cérémonie, c’est semble-t-il plus acceptable…
Mais revenons-un peu sur les arguments donnés :
-l’an dernier, il y a eu 4 femmes dans la sélection (sur une vingtaine de films ? 30 ?) et ce serait la preuve que le festival n’est pas sexiste.
En plus, elles ont eu des prix, alors quand même ! (ça, c’est la maîtresse de cérémonie de cette année, Bérénice Bejo, qui se réjouit par ailleurs que les femmes soient douces qui le dtit : .”Maiwenn et Valérie Donzelli, on en a beaucoup parlé, elles ont gagné des prix, elles ont eu une reconnaissance incroyable.” C’est quand même incroyable de donner des prix à des femmes, non ?
Ne lui jetons pas la pierre : elle est, comme toutes les femmes qui ont accès à la placardisation en affiches, l’otage de son rôle d’icône publicitaire, qui, comme l’explique Mona Chollet dans Beauté fatale, revendique à coups de millions de plus en plus une place dans le monde l’art…
-Jane Campion a eu la palme d’or. C’est vrai, voilà qui est encore incroyable. Une femme ayant la Palme d’or. Une fois, en 63 ans, un film de femmes a mérité la palme d’or. Ce n’est pas comme si les femmes savaient faire des films, voire des chefs d’oeuvre, contrairement aux hommes. Ah non ? il n’y en a pas ? Pascale Ferran, Coline Serreau (si, si), Sylvie Verheyde, Mira Naïr, Agnès Varda, Chantal Akerman, Julie Delpy, Noémie Lvovsky, Agnès Jaoui, Margarete von Trotta, Julie Bertuccelli, etc, etc…
-Il y a peu de femmes réalisatrices. C’est vrai, et c’est un problème. Et pourtant, il y a de magnifiques films de femmes. Sauf que : aussitôt fait, aussitôt oubliés. Comme s’ils n’avaient pas existé…
Pourquoi il n’y a pas de femmes dans la sélection : sexisme à toutes les étapes
-Du coup, je vais aussi parler de deux femmes réalisatrices dont vous ne connaissez même pas le nom et qui pourtant ont marqué (auraient du) l’histoire du cinéma :
-la première qui a fait un film de fiction, Alice Guy, dont les films ont été presque tous perdus (mais Gaumont les a réédités). Il aura fallu un siècle pour qu’on reparler d’elle. Et encore, qui connaît son nom, qui ne connaît pas celui de Méliès ? Son histoire vaut-elle moins un film d’un grand réalisateur que celle de ce dernier ?
-la première femme à avoir été invitée à Cannes, Binka Jeliaskova, qu’on compare à une Eisenstein bulgare, censurée pendant 20 ans dans son pays, et dont vous n’avez jamais entendu parler, sauf ici même ou à Femmes en résistance…encore une histoire effacée. Tapez une recherche google et vous verrez…
- En tant qu’organisatrice de festival féministes de films de femmes, j’ai eu l’occasion de parler avec certains programmateurs de l’absence de femmes réalisatrices dans leurs sélection : la réponse est toujours la même : ils ne sont pas sexistes, le sexe du / de la réalisatrice n’est pas un enjeu au moment du choix. Ok. Très bien. Evidemment, il ne s’agit pas de dire qu’ils écartent sciemment des femmes. En revanche, on voudrait bien savoir où ils font l’effort d’essayer d’obtenir des candidatures de films de femmes, plutôt que de toujours remettre les mêmes ! Comment ils en favorisent l’émergence ?
Quand s’interrogent-ils sur le fait que les “sujets phares” reconnus par les critiques -des hommes- du 7ème art sont tous androcentrés ?
Quand s’interrogeront-ils sur le fait qu’alors qu’il y a de plus en plus de femmes dans les écoles de cinéma, elles ont largement moins accès aux financements que les hommes ?
Quand s’interrogeront-ils sur le fait que l’entre-soi et le regard sur une seule moitié de l’humanité ne les aide pas à repérer de bons films réalisés par des femmes, à les financer et à les mettre sur le devant de la scène ?
Il faut se rendre à l’évidence, il y a peu de chances qu’ils s’interrogent, et beaucoup de chances qu’ils essaient de nous faire taire. Parce que sinon il faudrait laisser des places. C’est comme au gouvernement. Il y a les intentions. Et puis les faits.
Sandrine GOLDSCHMIDT

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